Le réveil sonne de plus en plus fort. Il faut ouvrir les yeux, rejeter le duvet, encore tout chaud de sommeil. Elle se retourne et éteint la cruelle petite horloge. Elle s’étire, baille, se couvre de son peignoir en mousse. Vite, la douche. Elle se brosse les dents sous l’eau chaude, se savonne le corps et le visage d’un seul geste. Un lait d’amande douce pour la peau. Un rapide trait de crayon noir sous ses yeux noisette, un peu de mascara, de la poudre pour éviter de briller. Elle se coiffe, attache ses cheveux en une grosse queue de cheval. Un peu de parfum à la rose, il ne manque qu’une touche de rouge à lèvres. Elle glisse le tube dans le vide-poche, juste à côté de ses clés pour ne pas oublier de l’appliquer après le petit-déjeuner. Il est temps de réveiller l’enfant. Elle entre dans sa chambre sur la pointe des pieds. Elle écoute son sommeil, puis passe la main sur son visage, chantonne, ouvre la fenêtre. Il résiste avant de s’agripper à elle. Il sera bientôt trop lourd. En vérité, il l’est déjà. Elle le frotte à la lavette humide, le peigne soigneusement, l’aide à passer les vêtements qu’elle a préparés pour lui la veille. Les deux bols, les céréales, la tasse à café, le Nesquick tout est à sa place. L’odeur du lait chaud fait sourire le petit. Il mange, elle nettoie rapidement la cuisine. Vite laver les dents, vite le cartable, vite les chaussures. Elle oublie le rouge à lèvres dans le vide-poches.
Elle branche son iPod dans la voiture, l’enfant a le droit de choisir une chanson. Ils chantent à tue-tête. Elle se parque en double-file, embrasse le petit sur toute la figure, engage la conversation avec deux mamans. Une fête d’anniversaire à Aquaparc, une recette de gâteau au chocolat, quelques doutes concernant la maîtresse. Elle claque trois bises sur les joues des mamans, sent leur parfum frais, elle sourit. Elle repart. Lorsqu’elle met le contact, la musique que l’enfant avait choisie, remplit l’habitacle. Elle sursaute, croise son reflet dans le rétroviseur, réalise qu’elle a oublié le rouge à lèvres. Au feu rouge, elle fouille dans son sac, mais n’en trouve pas. Elle s’arrête au magasin bio, achète des légumes, des pâtes et des biscuits sans gluten. À la Migros, elle prend des saucisses de Vienne et du chocolat. Elle se dépêche de rentrer, de ranger les courses à la cuisine, dans ses armoires recouvertes de papier protecteur. Elle cherche son sac de sport, jure de ne pas le trouver à sa place. Elle se résout à bricoler quelque chose avec un sachet en plastique, y fourre ses collants et un t-shirt. Lorsqu’elle se baisse pour attraper son tapis de sol, elle découvre son sac de sport, prêt, fidèle. Elle se frappe le front et s’en va. Elle n’oublie pas le tube de rouge à lèvres dans le vide-poche.
Elle sent son corps tirer, elle observe ses muscles dans le grand miroir de la salle de yoga. Ses positions sont parfaites. Elle se douche dans les vestiaires, laisse le regard des autres femmes glisser sur sa silhouette parfaite. Elle se lave les cheveux. Un lait d’amande douce pour la peau. Un rapide trait de crayon noir sous ses yeux noisette, un peu de mascara, de la poudre pour éviter de briller. Elle se coiffe, attache ses cheveux en une grosse queue de cheval. Un peu de parfum à la rose, il ne manque qu’une touche de rouge à lèvres, qu’elle n’oublie pas cette fois-ci. Dans la voiture, elle laisse les voix de la radio la bercer avant de remettre l’iPod. Elle ne se parque pas, attend l’enfant devant les grilles de l’école. Il arrive, il sautille. Il a faim. Des pâtes aux légumes bios, un petit morceau de chocolat, un jeu sur l’iPad mini. Elle le dépose devant les grilles et repart aussitôt vers son studio. Le premier client arrive dans trente minutes. Elle descend dans le parking, prend l’ascenseur, ouvre d’un tour de clé. La salle de bains. Elle se démaquille, se douche, passe la brosse dans ses cheveux. Elle cherche ses notes, les trouve dans la poche intérieure de son sac à mains. Trois clients, trois fiches. Elle vérifie le nom sur le planning, puis relit les caractéristiques. Elle applique un fond de teint terracotta, de la poudre dorée, se fait des yeux de chat à l’eyeliner noir, se dessine une bouche rouge au pinceau. De la laque extra-forte pour faire tenir son chignon. Elle se talque avant de passer la combinaison. Pas de parfum, l’odeur si caractéristique du latex fait partie du service. Elle attache ses escarpins plateformes avant de s’appliquer des stickers rouge sang en guise de vernis à ongle. Elle glisse deux préservatifs noirs dans la combinaison. Elle attend trois minutes, puis il frappe. La prestation se déroule bien, comme toujours avec ce client. Elle n’a qu’une demie heure. Elle détache les escarpins plateformes, décolle les stickers, brosse ses cheveux pour en enlever la laque. Elle se débat un peu avec le latex, puis se douche. Elle s’essuie, cherche sa seconde fiche, la passe rapidement en revue. Elle scrute son sexe avec une loupe d’horloger, arrache un poil avec une pince à épiler, s’enduit d’une crème pour bébé. Un fond de teint clair, des paillettes, un gloss rosé, des stickers fluo pour les ongles. Elle tresse ses cheveux en deux couettes, boutonne sa chemise blanche et sa jupe écossaise. Les tennis sont un peu élimées. Elle prépare les sucettes et les préservatifs à la fraise. Elle parle tout haut, s’écoute. Sa voix de fillette est bien en place. La prestation n’est pas une complète réussite. Elle prend quelques notes sur sa fiche, affiner le costume, se procurer une maison Barbie, un ours en peluche. La douche. Un lait d’amande douce pour la peau. Un rapide trait de crayon noir sous ses yeux noisette, un peu de mascara, de la poudre pour éviter de briller. Elle se coiffe, attache ses cheveux en une grosse queue de cheval. Un peu de parfum à la rose, il ne manque qu’une touche de rouge à lèvres, qu’elle oublie dans son sac à mains.
Le silence dans la voiture, elle chantonne. Le petit grimpe et c’est un tourbillon d’histoires et de rire. Elle a oublié ses affaires de judo à la maison. Un petit excès de vitesse, des excuses à l’enfant boudeur. Il n’aime pas être en retard. Il ne le sera que de quatre minutes. Elle s’excuse auprès du maître, il lui propose de se faire pardonner autour d’un dîner. Elle refuse, comme tous les mardis.
Dans la voiture, elle a envie de fumer. Elle prend une pastille de menthe, descend dans le parking du studio, sort la dernière fiche dans l’ascenseur. Elle avale le vasodilatateur avant de passer sous la douche. Elle se sèche rapidement, ne met pas de crème, pas de parfum, pas de maquillage, pas de soutien-gorge. Ses tétons pointent sous le t-shirt blanc, ses cheveux gouttent dans son cou. Elle aligne les godemichés et les objets selon leur taille et leur consistance, dissimule les préservatifs afin que le client ne se sente pas inférieur à ceux qui utilisent leur propre pénis. Elle masse son anus avec du lubrifiant. Elle aimerait avoir plus de temps, mais le client arrive à l’heure. La prestation est difficile, mais réussie. Le client réserve une séance de trois heures pour la semaine suivante. Il aime parler après la prestation et il faut plus de quarante-cinq minutes pour introduire son poing dans le corps d’une autre personne. Elle compte ses billets, se réjouit de son créneau de spécialités. Elle se douche, se savonne le corps et le visage d’un seul geste. Un lait d’amande douce pour la peau. Un rapide trait de crayon noir sous ses yeux noisette, un peu de mascara, de la poudre pour éviter de briller. Elle se coiffe, attache ses cheveux en une grosse queue de cheval. Un peu de parfum à la rose, il ne manque qu’une touche de rouge à lèvres qu’elle oublie encore une fois.
Le maître de judo distribue des clins d’œil à la mère et au fils. Le petit est tout humide de transpiration, rayonnant de joie et de fierté. Il est prêt pour la ceinture jaune. Elle écoute, elle questionne, elle chante sur la musique de l’iPod. À la maison, elle le lave, le frictionne, contrôle rapidement les devoirs. La viande hachée grésille dans la poêle, les pommes de terre sont cuites. Elle insiste, il doit manger la salade. Un jeu avec des playmobile, se brosser les dents. Une histoire, une chanson, un baiser. Il dort. Elle s’offre un verre de vin avec son repas, regarde un peu la télévision, feuillette Elle. Son téléphone professionnel vibre, des rendez-vous négociés au prix fort. Elle ne prend qu’exceptionnellement de nouveaux clients. Elle s’autorise un carré de chocolat, mais ne se sert pas l’Amaretto dont elle a envie. Elle éteint la télévision, son téléphone, la lumière. Elle se brosse les dents, se démaquille sous la douche. Lorsqu’elle se sèche, son regard croise une femme dans la glace embuée de la salle de bains. Une femme dépouillée de tous ces masques, une femme qu’elle ne reconnaît plus.