Dans le joli bar près de l’aéroport de Cotonou, on discute, on boit des cocktails, on grignote et on se dit au revoir. On savoure la douceur de l’air du soir et la musique dansante ni trop forte ni trop discrète. Un lieu confortable où les Blancs et la belle société béninoise se mélangent aisément. Les toilettes seront à la hauteur des mojitos alors je m’y rends – principe de voyageuse, toujours visiter les toilettes des lieux confortables. Je descends de la terrasse, marche au milieu des tables hautes et je sens ce regard sur moi, sur mon corps. La première fois, je devais avoir onze, peut-être douze ans. Je n’avais pas compris, je m’étais sentie dégoutante, sale. Plus tard, je me rebellais contre lui, puis je l’acceptais comme un moindre mal en comparaison d’agressions plus graves, mais jamais je ne réussis à l’ignorer. Ce regard de propriétaire qui vous jauge, évalue avec gourmandise votre potentiel sexuel. Ce regard d’homme sur la fille, la femme. On m’a beaucoup regardée lors de ce séjour, plusieurs enfants ont même osé caresser du bout de leur petits doigts la peau claire de mes bras, de mes mains, mais, au Bénin, c’est la toute première fois qu’on me regarde comme ça. Les yeux qui me suivent appartiennent pourtant bien à des Béninois, à des hommes noirs. Des hommes très bien habillés avec une belle voiture climatisée dans le parking, une carte de crédit dans la poche et des relations d’importance partout dans le téléphone. Des hommes riches. Suffisamment riches pour ignorer la race et se laisser glisser confortablement dans ce bon vieux patriarcat. Suffisamment riches pour m’adresser ce regard, un regard de domination.
Rédigé au retour d'une résidence au Bénin sur l'invitation de Laboratorio Arts Contemporains avec le soutien de par ProHelvetia