Instantanément, la peau. Partout où vous êtes majoritaires, vous pouvez vous permettre de l’oublier, mais à l’instant où les choses s’inversent, elle vous saute au visage. En vérité, rien ne s’inverse, tout est fondamentalement différent. Noir en Europe ou Blanc en Afrique, deux minorités, deux réalités aux antipodes. La blanchité est toujours un privilège, mais en pays noir, c’est soudain impossible de faire comme si ce n’était pas le cas. On vous regarde, mais pas comme les hommes regardent les femmes, non, dans ce regard vous n’êtes pas une bête qu’on chasse, méprise et possède, non, dans ce regard, vous êtes admirable, riche, puissant. Dans ce regard, vous êtes au-dessus des autres. On vous sert, vous assiste, vous cajole d’une façon réservée à une minuscule élite dont vous ne faites pas partie en pays blanc.
Certains jouissent de ce privilège, comme si effectivement ce détail de naissance leur donnait un statut supérieur qu’enfin, en pays noir, on leur reconnaissait. Ces Blancs-là sont les médiocres, les petits qui savent et ne peuvent tolérer que partout où les règles du jeu ne seraient pas biaisées si outrageusement en leur faveur, ils ne parviendraient pas à se hisser aux places d’honneur. Ces Blancs-là ont un ego fragile.
Il y a encore d’autres Blancs, une race toute nouvelle qui redoute plus que tout d’être considérée comme raciste. Ceux-là forcent leur gentillesse, veulent faire comme tout le monde, refuser le privilège, effacer les couleurs, mais ces Blancs-là sont venus en avion, prennent leurs médicaments anti-palu, paient sans effort pour la clim et l’eau en bouteille. Ces Blancs-là s’offusquent si on ne les considère pas comme des membres de la famille, s’ils ne sont pas accueillis partout et tout le temps en amis intimes. Terrifiés à l’idée d’être vus comme des colons, ils exigent d’être traités en frères. Ces Blancs-là ont un ego fragile.
Et puis il y a des Blancs qui ne savent pas bien qu’ils sont blancs parce qu’en pays blanc, ils ne le sont pas. Métisses, Afropéens, Afro-Américains en pays blanc sont toujours noirs. Ceux-là sont la preuve vivante que la blanchité est un concept social et non pas racial. Ces Blancs-là vivent le privilège de la blanchité en pays noir et en souffrent sans pour autant pouvoir y renoncer. L’ego de ces Blancs-là se débat, se déchire parfois, se cicatrise d’autres fois.
Quel tableau, me direz-vous ! Rassurez-vous, il existe encore d’autres Blancs, des femmes et hommes qui n’ont parfois jamais pensé leur blanchité, mais la vivent, normalement. C’est-à-dire que oui, la blanchité induit d’immenses privilèges. C’est-à-dire que non, ces privilèges ne sont pas justes, mais les nier ne saurait les effacer. Bien au contraire. Petits inconforts et grandes contradictions attendent l’ego de ces Blancs-ci.
Sœurs et frères de peu de couleur, peu importe la façon de la porter, la blanchité en pays noir sonne toujours un peu faux, il est impossible d’être juste dans un système qui ne l’est pas. C’est une chose que nous acceptons chez nous lorsque nous rentrons dans nos appartements chauffés et que nous savons qu’à quelques mètres des hommes et des femmes dorment à la rue. L’injustice, nous la connaissons et nous sommes fort rares à nous rebeller contre elle lorsque nous sommes nés de son bon côté. Mais en pays noir, elle nous confronte, nous toise, nous force à grimper sur son dos et à y faire le funambule. Et c’est toujours si peu cher payé.
Rédigé en résidence au Bénin sur l'invitation de Laboratorio Arts Contemporains avec le soutien de Pro Helvetia