Genève, le tram, un dimanche après-midi. De dos, des cheveux mi-longs, gris, décoiffés. Une jaquette bleue marine, en laine, à l’ancienne. Une jupe longue, verte, délavée. Des collants opaques, jaunâtres, malpropres. Des sandales orthopédiques, usées, trop portées. Des petites épaules fluettes, d’épaisses lunettes cerclées de métal. Et une voix, grave, agressive. La vieille crie. Elle crie parce qu’une femme l’a effleurée de ses paquets, je vous connais vous, les Genevois, méchants, méchants, sale race ! Elle crie parce qu’une autre femme lui intime de se taire, de rester polie, t’as gueule, tu la fermes, sale conne !Elle crie parce qu’une jeune fille l’interrompt, ta mère, la pute ! Elle a gagné, ou plutôt elle a perdu. L’adolescente riposte, qu’est-ce t’as dit ? Comment t’as traité ma mère ? Répète, sale pute ! Un coup de pied pour la vieille folle, des louanges pour la gamine, qui a défendu l’honneurde sa maman. Sur les trottoirs de la ville, la vieille folle continue à crier la solitude, la folie, la cruauté. Sa voix porte. Pourtant personne n’entend.