Je réunis mes sacs et je sors du tram. Encombrée de livres, d’affaires de sport et de dossiers, je me faufile, joue des coudes. Je suis pressée, évidemment. Comme tout le monde à cette heure-là de la semaine. On me pousse, je trébuche, mais je parviens à m’agripper à l’escalier roulant. Contrainte à l’attente, je respire. Devant moi, un homme. Il porte un parfum. Un parfum qui me touche. Je cherche dans mes sens, dans ma mémoire. Un amour ? Le premier ? Le plus fort ? Le plus profond ? Non. Un amant ? Le plus passionné ? Le plus brûlant ? Le plus doux ? Non. Un professeur ? Le plus inspirant ? Le plus brillant ? Le plus captivant ? Non. C’est plus loin, bien plus loin. Je dépasse l’homme au parfum et alors que je sens des larmes me monter aux yeux, je me souviens. Je me souviens de ce moment d’avant les cassures, d’avant les douleurs, d’avant les cicatrices. Ce bref moment où quelqu’un d’autre se chargeait de moi, toute entière. Je me souviens de cette sécurité, de cette légèreté que j’ai perdue, il y a déjà si longtemps. Ce parfum, c’était celui de mon père.