Leurs yeux racontent une grosse fatigue, leur peau l’absence de douche. Pourtant, ils sont encore propres, les cheveux bien coupés, les vêtements actuels. Ils ne viennent pas de loin, juste de la planète crise, à une ou deux frontières de là. Ils s’installent, bien placés, au milieu du tram. Ils se taisent, accordent brièvement leur guitare. Ils jouent. Les passagers lèvent le nez de leur téléphone, tablette et autre 20minutes. Les notes s’égrènent, douces et chaudes. Un rythme parfait, une musique qui parle d’Andalousie, d’amour, de beauté. Leurs doigts caressent les cordes et les nôtres fouillent déjà poches et sacs à mains à la recherche d’argent. Nous voulons leur donner. De grosses pièces tintent dans le tram. Je nous regarde. Nous leur sourions, fiers et heureux des quelques francs que nous leur offrons. Étrange, curieux. J’observe encore, je décortique mon propre geste. Je touche une pensée. Nous sommes soulagés. Soulagés de donner à de bons musiciens, soulagés de donner pour quelque chose qui le mérite, soulagés. Enfin. Enfin, des pauvres qui ont la décence de respecter nos valeurs. Le travail, le mérite.
Sans aucun doute, ils gagneront leur matinée. Et les autres, ceux qui n’ont pas de talent, pas d’instruction, ils crèveront la main tendue, nous arrachant une vague grimace de pitié et de dégoût.