Nous nous abritons sous l’arbre centenaire, il nous offre son ombre rafraichissante et salvatrice en cette chaude après-midi. Il était déjà là lorsque sur cette place – la bien nommée place aux enchères – on faisait commerce d’enfants, de femmes et d’hommes. Il était déjà là lorsqu’on les a enchainés. Il était déjà là lorsqu’on a fait d’eux des outils. Il était déjà là lorsqu’on les a arrachés à leur continent, à leurs ancêtres, à leur identité. L’arbre centenaire était déjà là. Il nous rappelle que ce passé n’est pas passé. Tout comme la très grande bâtisse jaune accolée à la place. Une famille riche et puissante possède terrains et imposants bâtiments tout autour. Et cette famille, c’est la famille de Souza, les descendants du plus grand marchand d’esclaves de la ville de Ouidah et peut-être d’Afrique de l’Ouest. Seule la place appartient à l’État qui vient d’y disposer de grosses sphères de métal représentant les boulets aux chevilles des esclavagisés. D’un côté, on se souvient avec ce mémorial public et de l’autre, on oublie avec cette fortune privée fondée sur le pire commerce de l’histoire humaine. Aléatoire mémoire. Des cris d’enfants, trois petites filles en uniforme d’écolières jouent entre les boulets symboliques. Elles rient. L’arbre centenaire chuchote, la place, toute la place, c’est à ces petites filles qu’elle appartient.
Écrit en résidence au Bénin sur l'invitation de Laboratorio Arts Contemporains avec le soutien de Pro Helvetia