Il faut courir, il n’est pas question de commencer en retard, la placeuse nous gronde un peu. Je m’assieds juste quelques instants avant l’entrée de la cheffe d’orchestre. L’acoustique est merveilleuse, la mise en scène réussie, les chanteurs remarquables. Je me laisse porter par la musique et l’entracte arrive. J’ai alors tout le loisir d’observer la culture allemande à l’opéra. C’est un peu ridicule, il s’agit de s’habiller, mais c’est évidemment raté. On grignote de chics et chères verrines, mais c’est évidemment raté. Il n’est cependant pas certain que ce mauvais goût généralisé soit moins pénible que le snobisme des parures de diamants et des smokings sur mesure. Je me rassieds, encore amusée par les sandales de randonnée et les tenues dépareillées. Mon voisin ne revient pas, il a pourtant ri avec moi, applaudi avec moi. S’attarde-t-il aux toilettes, s’est-il perdu dans un petit salon ? Je réalise alors qu’il était seul, comme j’aurais dû l’être sans la visite de dernière minute d'une amie berlinoise. Mon voisin ne revient pas. Il a laissé son programme sur la rambarde. Eugène et Onéguine se termine en beauté, sans lui. Dans le magnifique Semperoper de Dresde, les applaudissements résonnent et je pense à cet homme qui est venu et a quitté l’opéra, seul.